Dans les Pyrénées luchonnaises, la Haute-Garonne devient la Très Haute-Garonne avec ses 18 sommets à plus de 3000 mètres. A la rencontre des pics emblématiques et des Pyrénéistes d’hier et d’aujourd’hui.
18 pics de plus de 3000 mètres: tel est le palmarès méconnu de la Haute-Garonne, plus connue pour sa métropole toulousaine et ses briques roses, son Canal du Midi bordés de chemins de halage ombragés, ses paysages vallonnés et de plus en plus oenotouristiques du Frontonnais, ses bastides et joyaux d’art roman ou gothique, Saint-Sernin, Saint-Bertrand du Comminges…
Mais les Pyrénées haut-garonnaises cachent, au dessus de la ville thermale au charme désuet de Luchon, un terrain de jeu montagnard qui n’est pas seulement hivernal mais aussi dédié aux adeptes de la haute montagne sans ski : la Très Haute-Garonne.
3000 mètres et plus si affinités: de refuges en sommets
C’est un peu au-dessus du refuge d’Espingo (1967 m) que les guides annoncent solennellement : « ici s’ouvrent les portes de la haute montagne ! » Don’t acte. Here we are!
Petit rappel technique : la montagne se subdivise en catégories, l’étage collinéen, royaume des feuillus jusqu’à 900 m, l’étage montagnard de 900 à 1600 m où dominent les épineux, l’étage alpin de 1600 à 2400 mètres environ qui commence par la zone subalpine avec les derniers arbres et évolue vers la prairie alpine, et enfin l’étage nivel qui désigne la zone minérale où plus rien ne pousse -et qui se situe au dessus de 2400 mètres d’altitude dans les Pyrénées. La haute montagne couvre cette zone entre terre et ciel, un espace de granit, de schistes et de quartz. Nothing else.
D’Espingo donc, la montée au Portillon révèle ces différentes graduations, démarrant dans le vert des arbres et de l’herbe surplombant le lac d’Espingo jusqu’aux gris minéral des blocs de granit entourant celui du Portillon. Le parcours, 700 mètres de dénivelé, est émaillé d’anecdotes plus ou moins historiques, techniques ou croustillantes, sur fond de construction d’ouvrages d’art (les barrages sont nombreux dans les Pyrénées), de réparations de guerre et de (difficile mais passionnée) vie en altitude.
Quelques heures de grimpette plus tard, le Portillon, avec son lac, son barrage, son refuge, est là, trônant dans un vertige de pierres. Et les fameux 3000 mètres environnants s’offrent – ou pas – au regard.
De 3006 à 3132 mètres, ils s’appellent Pics de Boum, Belloc, Gourdon, Portillon d’Oo, Grand Quayrat, Spigeoles, Jean Arlaud, Crabioules, Lézat, Maupas, Seil de la Baque, Royo, Gourgs Blancs ou Litérole. Et enfin le plus grand, le Perdiguère qui forme le toit de la Haute Garonne à 3222 mètres et lorgne vers l’Espagne et son voisin l’Aneto (3404 m), sommet des Pyrénées sis dans le massif de la Maladeta.
Mais pour admirer ces géants, rien ne sert de monter au plus haut… Et le meilleur observatoire se situe sur la « modeste » Tusse de Montarqué (2889 m tout de même), autrefois appelée Pic du Midi d’Oo, même si sa forme s’apparente plutôt à un sommet rond et balayée par les vents et les éléments. Au sommet justement, le panorama sur les 3000 mètres environnants est remarquable : le Lac Glacé surplombé des Gourgs Blancs, du Gourdon et du Spigeoles et en toile de fond de l’autre côté, le Perdiguère, parfois noyé dans la brume. Selon les jours et la météo, la carte postale est en bleu et gris sous le soleil ou en 50 nuances de gris… Mais quel que soit le pic ou la crête pris pour objectif d’ascension, l’arrivée sur un de ces sommets reste magique avec un parfum de victoire sur la pente, les névés et les pierriers. Comme du temps des pionniers, quand les premiers guides étaient souvent des porteurs de chaise, de père en fils.
Quelques mots sur les Pyrénéistes
S’ils sont moins restés dans l’Histoire et le langage courant que leurs confrères les alpinistes, les Pyrénéistes méritent tout de même l’attention. Ces passionnés des Pyrénées, pionniers des sommets et des montées-expéditions en bottines de cuir et (vraies) peaux de phoques (ni GoreTex, ni baudrier, ni coinceur à l’époque…), n’étaient pas des Anglais avides de planters de drapeaux (comme au Cervin-Matterhorn par exemple dont la première et tragique ascension date de 1865) mais des explorateurs à l’âme scientifique.
Dès la fin du XVIIIe siècle, ces savants, érudits et écrivains d’ici ou d’ailleurs grimpaient certes mais avaient aussi à coeur d’étudier et répertorier pierres, faune et flore de la contrée. Ils observaient aussi les glaciers et s’inquiétaient, déjà, de leur disparition « imminente », à l’image du comte Henry Russell. Gascon-irlandais, cet aristocrate aventurier et écrivain du XIXe siècle est considéré comme un des fondateurs du Pyrénéisme : il explora ces montagnes de l’âge de 27 ans à sa mort et avait pour camp de base le Vignemale dans les Hautes-Pyrénées. Franz Schrader, géographe bordelais et célèbre pyrénéiste, inventa en 1873 l’orographe, instrument de mesure spécifiquement conçu pour dessiner les montagnes. Certains venaient de plus loin pour gravir les plus hauts sommets locaux, comme l’explorateur russe Platon de Tchihatcheff qui vaincu l’Aneto (Espagne) en 1842.
Dotés d’appareils photos et d’instruments plus perfectionnés au fil des siècles, ces Pyrénéistes ont largement contribué à la meilleure compréhension de l’écosystème montagnard et à sa sauvegarde. On croise encore aujourd’hui, dans les refuges pyrénéens, quelques-uns de ces passionnés qui arpentent sans cesse et avec passion les sommets, crêtes et sentiers des Pyrénées. Si l’alpinisme est devenu un sport de notoriété mondiale, le Pyrénéisme reste un état d’esprit.